Ghaleb Bencheikh veut « faire entendre la condamnation de l’obscurantisme »
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner le 12/09/2019 à 15:22
La « Conférence internationale pour la paix et la solidarité », le 17 septembre à Paris, suscite la polémique. Elle est organisée par la Ligue islamique mondiale, organisation saoudienne, et la Fondation de l’Islam de France (FIF).
Ghaleb Bencheikh/Nicolas Kovarik/IP3 PRESS/MAXPPP
Comment est née l’idée d’une conférence à Paris organisée conjointement par la Fondation de l’Islam de France, que vous présidez, et la Ligue islamique mondiale, organisation basée à La Mecque et connue pour diffuser le wahhabisme dans le monde entier ?
Ghaleb Bencheikh : J’ai rencontré Mohammed Al-Issa, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, quatre fois en tout. Notre première rencontre a eu lieu en novembre 2017, lors de sa première visite à Paris, lors d’un dîner en présence de nombreuses personnalités. Nous nous sommes vus une deuxième fois à New York, puis deux fois en Arabie saoudite.
À chaque fois, son discours était clair : il était conscient des ravages du wahhabisme et de l’obscurantisme, et du fait que son pays pâtissait désormais lui-même de l’extrémisme. Il voulait tourner le dos aux pratiques anciennes. Il m’a affirmé être pour la liberté de conscience et la désacralisation de la violence. En outre, il a fait plusieurs déclarations publiques très fortes, comme sa condamnation du négationnisme courant 2018.
Je me suis dit qu’il fallait accompagner cette évolution. À Riyad, je lui ai demandé s’il serait prêt à venir dire tout cela à Paris. Il m’a répondu positivement, ajoutant que cela lui serait même plus facile que dans un contexte islamique où il est obligé de composer. Ainsi, au mois de mai, il m’a annoncé sa venue le 19 septembre à Lyon et nous avons décidé d’un commun accord de co-organiser cette conférence le 17 septembre pour affirmer ensemble notre volonté d’endiguer l’extrémisme et le terrorisme.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnalités vous accusent de contribuer par cette conférence à « redorer le blason du wahhabisme » et l’épouse de Raif Badawi affirme que Mohammed Al-Issa a ordonné la condamnation de son mari à 1 000 coups de fouet lorsqu’il était ministre de la justice saoudienne. Faites-vous preuve de naïveté en accueillant ce dernier ?
Ghaleb Bencheikh : L’épouse de Raif Badawi, à côté de qui je me suis trouvé lors d’une conférence sur la paix à Caen, et qui me qualifie aujourd’hui d’« islamiste », m’a entendu dénoncer avec elle très fermement la condamnation arbitraire et brutale de son mari et dire mon attachement absolu à la liberté d’expression comme à l’intégrité physique et morale de la personne humaine. Je n’ai pas changé d’avis et je continue à le dire haut et fort.
Je ne suis ni naïf, ni complaisant et encore moins insensible. Lors de la conférence, nous parlerons justement de ces questions fondamentales.
À quoi va s’engager Mohammed Al-Issa et comment vous assurer que cela sera suivi d’effets ?
Ghaleb Bencheikh : L’objet du mémorandum que nous signerons le soir-même est précisément d’engager les signataires à respecter et promouvoir ensemble de manière concrète la liberté de croyance, de religion, d’expression. Les signataires sont le Grand Rabbin de France Haïm Korsia, Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille et président du Conseil pour les relations interreligieuses de la Conférence des évêques de France, et Mohammed Al-Issa lui-même.
Le mémorandum prévoit également des évaluations régulières des engagements pris. Quant aux effets, des annonces seront faites le soir de la conférence et des actions très concrètes s’ensuivront.
La Ligue islamique mondiale finance-t-elle la Fondation de l’Islam de France et cette conférence est-elle une sorte de contrepartie ?
Ghaleb Bencheikh : Il ne s’agit en aucun cas et d’aucune manière d’une histoire d’argent. Les donateurs de la Fondation de l’Islam de France sont connus et indiqués très clairement sur son site Internet : la Ligue islamique mondiale n’en fait pas partie.
Ma motivation est toute autre. Cela fait quatre ans que tous les jours j’entends cette même question : « Que font les responsables musulmans ? Pourquoi ne condamnent-ils pas publiquement le terrorisme au nom de l’islam ? »
Pour moi, cette conférence est l’occasion de faire entendre cette condamnation de l’obscurantisme, de la violence au nom de la religion en présence de représentants de nombreux pays du monde musulman. Des muftis, grands imams, oulémas ou ministres des affaires religieuses d’Algérie, d’Indonésie, de Bosnie, d’Ouzbékistan, etc., seront présents. S’ils ne sont pas contents, ils partiront. S’ils restent, c’est qu’ils approuvent ce qui sera dit.