Qamis, abayas et plus si futilités

Qamis, abayas et plus si futilités-Article

 

La langue de Molière se voit enrichie de nouveaux arabismes tels que ‘abaya, qamis ou encore jilbab, comme elle le fut jadis, avec plus d’attrait et d’enthousiasme, en accueillant les mots algèbre, algorithme ou arobase. Les habits que décrivent ces vocables et les « signalements laïcité » qu’ils ont induits sont au cœur de la crise récente de l’école publique. 

Quel regard porter sur cette rencontre qui n’en finit pas de se faire, de s’interroger et de menacer de se rompre, entre la France et l’Islam ? Pourtant, l’interdépendance est – ne serait-ce que depuis le Second Empire – indépassable, tant la France a un lien ancien avec l’Islam dont une tradition éclairée peut et doit être mobilisée pour protéger la jeunesse, son entreprise éducative et ses institutions de l’entrisme islamiste. Et de son côté, l’Islam, otage des conservatismes pervertissant ses humanités, requiert pour sa part l’appui de la République pour se hisser aux exigences de la modernité politique et intellectuelle. C’est sous sa voûte qu’il pourra se prémunir des travestissements et des mystifications.

 

Prendre le temps

Nous sommes dans un moment historique et tragique comme le dit Bruno Latour qui vient de nous quitter. Nous n’avons pas le temps mais devons le prendre selon le philosophe. Le temps nous manque en effet alors que la maison France brûle et prend l’eau. Le feu embrasant est igné par les islamistes, ces activistes fossoyeurs de la pensée critique et des libertés fondamentales, promoteurs d’une identité fantasmée, magnifiée. Ils appellent à toujours davantage de rupture d’avec la société dans une logique de défiance et de confrontation. Et l’inondation submersive est déversée par l’extrême droite identitariste, obsédée qu’elle est par la question islamique, « biberonnée » aux peurs fabriquées et à l’histoire mutilée. Les deux périls menaçants se conjuguent et donnent à voir, même aux plus optimistes, un affrontement dont l’ombre planerait déjà sur la ville et les hommes. Cette prophétie auto-réalisatrice finirait par faire passer l’archipellisation de la France de vraisemblable à probable, de virtuelle à réelle. Elle met en demeure les Français et les somme d’armer leurs idéologies, toute nuance cessante, et par là même, de vite choisir leur camp.

 

L’école est finie 

L’école publique est au cœur de cet affrontement de survie. Lieu d’acquisition des savoirs et de la connaissance, l’école est aussi le siège de l’apprentissage de la citoyenneté. C’en est fini, peut-être, de cette école-société livrée sans défense aux éclats du débat sur l’identité, l’égalité et la laïcité. Elle doit être et demeurer cette presqu’île sanctuarisée où l’on donne à apprendre, à penser, à être. La prédisposition à devenir citoyen doit l’emporter sur les pesanteurs d’appartenance idéologique ou les traits de différence séparatiste.

Nous n’allons pas verser dans une forme qui étouffe le fond, comme si la modalité l’emportait sur le contenu. Ainsi, l’affichage et l’imposition du catéchisme républicain ont-ils été pensés auto-suffisants alors que leur enseignement nécessite davantage de pédagogie et de consécration. Fort de la résonance exponentielle offerte par les réseaux sociaux de dernière génération, l’activisme islamiste réussit son entreprise de séduction sur une bonne partie de la jeunesse française musulmane qu’il convertit à son triptyque maléfique : la religion comme identité supranationale, le rejet des « jeunes musulmans » par cette France qu’ils sont donc en droit de détester et la laïcité comme arme sélective de dés-islamisation massive. Ce triptyque est dédoublé d’un autre, celui composé par une question mémorielle lancinante, par le cortège de discriminations persistantes et par l’exception islamique dans le traitement médiatique.

 

TIC ‘Tok : Troubles Islamistes Compulsifs 

Le fondamentalisme islamique a coupé le religieux de son véhicule culturel et civilisationnel. Débarrassé des subtilités de la raison, anémié de la complexité de la réflexion et de ses nuances, ce dogmatisme drastique rabougri, épouse parfaitement la sphère numérique très propice à sa propagation décomplexée et divergente. Ces réseaux sociaux accentuent la propension à consommer, à partager et à produire ces « modules de certitudes flatteuses » dans l’ivresse d’un « nous fusionnel et protecteur » que les jeunes gens absorbent de manière compulsive ; la quantité faisant la qualité, il s’agit d’augmenter la densité et l’enracinement plus que de développer le sens critique, d’exercer sa raison, d’inviter à douter et à conjecturer ou d’interroger les présupposés de la foi…

 

Le modernisme en action 

La « flexibilité » de l’idéologie islamiste ne s’arrête pas à cette facilité numérique. Bien que profondément populiste et exploitant une question sociale épineuse, elle s’accommode des libéralismes économique et politique sur lesquels elle assoit un pseudo corpus doctrinaire. Elle mêle victimisation excessive et revendication de liberté. Il en résulte une jeunesse anxieuse en défiance, gagnée par l’idée d’une République hostile qui en veut à leur « être confessionnel » avec l’école comme lieu d’endoctrinement. Aussi, que leurs engagements soient un alignement conscient et assumé ou qu’il s’agisse de mimétisme générationnel avec des poussées provocatrices, les agissements des élèves défient-ils la communauté éducative et ses forces vives. Ces dernières sont sommées de faire de l’enceinte scolaire le lieu de résolution d’équations complexes où se croisent les questions identitaire, sociale, psychologique, économique et mémorielle. Cœur battant de la cité et projection d’une société tiraillée, l’école se voit profanée par cette dernière qui y plante ses chapelles et y déploie ses batailles.

 

Tenue correcte exigée

Formule à respecter pour être admis à danser et à s’amuser en boîte de nuit, l’exigence d’une bonne tenue – dans les deux sens du terme – se justifie a fortiori pour entrer dans l’enceinte scolaire.

La laïcité, principe fondamental et salvateur, n’a pas besoin d’être invoquée et convoquée systématiquement pour faire respecter cette exigence. L’autorité de l’encadrement doit être énergique avec bienveillance, efficace sans complaisance. La fermeté doit être de mise d’autant plus que s’habiller à sa guise ne fait pas partie des libertés fondamentales de l’élève, qu’on se le précise…

Quand bien même serait-il opposé que certains élèves évoquent la dimension religieuse de l’habit – affirmation fallacieuse et captieuse en l’occurrence, dès lors que l’islam n’a jamais consacré un habit canonique – cet argument fait tomber ces accoutrements ipso facto sous le coup de la loi du 15 mars 2004. Laquelle loi doit être appliquée dans toute sa rigueur sans barguigner ni tergiverser.

 

La dissuasion laïque 

Pour le reste, y compris les cas de vêtements « religieux par destination », formule kafkaïenne ajoutant au non-sens de « vêtement islamique » celui de juger des intentions présupposées, les personnels éducatifs ont à veiller à ce qu’on ne vienne pas en classe en crop-top, en boubou, en djellaba, en sari, en schlupfkapp, en tongs, en bigouden … L’école n’est pas une scène de productions folkloriques ni celle de la « mode par destination » qui pourrait voir interdire le pantalon à cause d’un sarouel « religieux par destination »… Il n’est pas acceptable d’être suspendu aux dires des élèves et au sens qu’ils veulent bien donner, quotidiennement, à leurs accoutrements, ni aux « destinations vestimentaires » parachevant de rendre illisibles les faits, les règles et surtout les sorties de crise.  

Il y a une erreur manifeste à affaiblir le principe de laïcité en le mobilisant sans cesse dans des champs où la loi commune et les règlements intérieurs suffisent. Il demeure si précieux et fondamental face aux atteintes telles que le refus de la mixité femmes-hommes ou l’affranchissement d’activités sportives, l’invocation de l’interdiction de la musique, la contestation de certains enseignements ou encore l’intrusion de la pratique religieuse dans l’école publique.

 

Fragments d’un discours républicain 

La sanctuarisation de l’école tant clamée est nécessaire mais pas suffisante. La laïcité et la République doivent être données à comprendre, à pratiquer à estimer. La recherche du bien commun et la défense d’un destin tout aussi commun doivent être lues et comprises par tous, dans cette pluralité sociétale inhérente à la notion même de République.

S’agissant de la laïcité, s’accole à elle une fragilité originelle, celle d’être incomprise par une partie de la jeunesse française. Ce principe cacherait, pour elle, une charge contre le religieux en général et contre l’islam en particulier. Grevé par tant d’ambiguïtés et de brouillages savamment entretenus par les influenceurs entrepreneurs identitaires, « gestionnaires du sacré », ce principe-clé de la Nation n’a pas rencontré la jeunesse des quartiers dits sensibles et défavorisés, sa cible première. Celle-ci cherche dès lors au mieux à contourner ce principe, voire à le déconstruire et le contrecarrer. Cette laïcité doit être aussi et surtout donnée à aimer, aimée comme une chance, une protection, une ouverture sur les passés inscrits dans des récits communs, sur des présents productifs et féconds et sur des futurs fertiles et radieux, voulus d’un désir ardent. 

 


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Parue le 28 décembre 2022