Hommage à Jean-Pierre Chevènement par Bariza Khiari

Hommage à JPC

Monsieur le Ministre,

Il me revient l’insigne honneur de vous dire quelques mots…Ce n’est pas par hasard, j’y vois trois raisons :

    • J’ai fait partie d’un mouvement politique que vous avez co-fondé. En phase avec vos valeurs vous l’avez quitté au sujet de la Corse, en phase avec les miennes, je l’ai quitté au sujet de la « déchéance de nationalité ». 

Nos ruptures respectives ont en commun une certaine idée de la République.

    • La deuxième… Le Sénat, cette chambre haute ou nous avons été collègues…pas sur les mêmes bancs mais héritiers d’une matrice commune nous nous sommes retrouvés sur l’essentiel.
    • Enfin, l’Islam et le monde arabe dont vous êtes fin connaisseur qui forme aussi un lien. La preuve aujourd’hui, la Fondation de l’Islam de France, dont je suis administratrice nous réunit pour cet hommage.

Ces trois raisons m’autorisent à vous dire : Cher Jean-Pierre

Le court hommage que je veux vous rendre est celui de la cohérence d’une vie qui prend racines en Algérie dans les terres oranaises.  Vous y avez fait votre service militaire en servant dans une unité au contact de la population locale. 

Enfant de la guerre, vous dites que cette guerre a fait de vous un Homme. Vous découvrez également à cette occasion le monde arabo-islamique, cette illumination de jeunesse va trouver tout son sens dans le parcours qui est le vôtre mais aussi dans vos ruptures. Ce sont les ruptures qui vous définissent le mieux et ces ruptures nous permettent de remonter à vos idéaux construits sur la base d’un triptyque :  

    • Liberté de conscience, respect républicain, progressisme politique

En refusant d’engager vos hommes lors de la première guerre du Golfe, vous avez su remarquablement conjuguer l’éthique de conviction à celle de responsabilité

La guerre du Golfe : c’est Non ! Une démission alors que vous étiez ministre de la défense ! C’est du lourd. Vous y avez gagné un véritable magistère et l’affection, voire l’admiration d’un grand nombre de nos compatriotes. 

Un ami commun m’a dit à quel point vous avez été touché par des messages simples reçus de pas mal de nos concitoyens qui vous écrivaient : « Merci, c’est ça la France » !

Votre capacité à dire Non    pas pour le plaisir mais un Non toujours argumenté – a marqué et c’est peu de le dire toute une génération.

La guerre du Golfe me permet la transition avec votre intérêt pour le monde arabe pour cet Orient si proche et en même temps si complexe. On peut dire que vous avez été, cher Jean Pierre, dans le dépassement de votre propre culture et qu’à partir de ce dépassement, vous avez su accueillir l’Autre….l’arabe, le musulman.

Cet Autre vous l’avez abordé avec l’ami, le maître : Jacques Berque, professeur d’islamologie au Collège de France, qui a en commun avec vous l’Algérie.

Vous avez d’ailleurs dit à son sujet : « La Fondation de l’Islam de France, C’est une idée dont la paternité devrait être rendue à Jacques Berque, très grand arabisant et immense écrivain qui avait cette idée que les musulmans vivant en France, pour la plupart de nationalité française, devraient renverser ce courant fondamentalisme religieux qui existe dans le monde arabo-musulman depuis plusieurs décennies« 

Jacques Berque avait produit, quand vous étiez ministre de l’éducation nationale, un rapport sur l’apprentissage des langues d’origines à l’école. Je peux vous dire que l’on regrette que votre successeur n’ait pas mis en œuvre les propositions de ce rapport car savoir d’où l’on vient et avoir les outils pour comprendre la transmission d’un legs culturel : c’est très important pour cheminer dans la vie et pour entrer dans la République. Etre français.

Cet apprentissage aurait permis à des jeunes de ne pas se laisser embrigadés par les tenants d’un islam dévoyé. Alors, à défaut, ce sont formés dans nos quartiers des analphabètes bilingues qui ont malheureusement un lien avec la montée de l’islamisme radical. Sur la question de la transmission par les langues d’origine à l’école, vous avez été visionnaire mais malheureusement pas suivi ! 

En vous saluant aujourd’hui, c’est également votre maître à penser que nous honorons car il vous a encouragé à donner ses chances au projet de la Fondation de l’islam de France.

A l’occasion de la sortie du rapport, j’ai relu Jacques Berque et cette phrase que je reprends de l’ouvrage « Les Arabes, l’islam et nous » m’a frappé, il écrivait parlant du malentendu entre Occident et islam : « L’islam reste un grand méconnu, toujours en discordance avec ce qui l’entoure et ce malentendu vient d’une trop grande proximité…. C’est le frère rejeté, l’éternel accusé, l’éternel suspect ». 

Je l’ai testé : Oui, on peut être catholique et laïque, Oui, juif et laïque, Oui, protestant et laïque mais musulman et laïque ! La  suspicion occupe toute sa place!

Mais, à partir du moment ou une grande conscience comme la vôtre dénonçait : 

    • les « comportements de discrimination à l’égard de nos concitoyens de confession ou de culture musulmanes » 
    • et le fait que vous aviez  pour projet de Faire connaître l’islam pour mieux le faire accepter à travers les missions de la Fondation pour l’islam de France. 

Le regard a changé. Le mien également. C’est peu de dire que vous avez été une force de conviction et de proposition pour concilier   Islam et République et pour la primauté de la citoyenneté sur l’identité.

 

En résonance à votre républicanisme humaniste, je me suis sentie comme beaucoup de musulmans en France « farouchement républicaine et sereinement musulmane ».  Avancer dans la vie c’est tellement plus facile quand on sait d’où l’on vient et que l’on s’assume. 

Enfin, je me plais à penser que vous êtes l’inspirateur du magnifique discours des Mureaux dont l’enjeu était : 

    • Lutter contre l’islamisme radical
    • Libérer l’islam de France des influences étrangères
    • Aider à l’émergence d’un islam des Lumières.

Car ce sont vos combats.. C’est dire, cher Jean-Pierre, que vous avez fait école et tout cela nous oblige… 

Je souhaite conclure en vous disant :

Cher Jean Pierre,

Vous avez eu mille vies qui ne se réduisent pas aux quelques sujets que je viens d’évoquer. 

Ce que je comprends, c’est que votre jeunesse a cheminé à vos côtés tout au long de votre parcours, elle a été la gardienne vigilante de vos idéaux. 

Je ne pouvais pas finir sans faire appel au grand poète arabe al-Moutanabbi qui a dit : 

« C’est en rapport à la grandeur des gens déterminés qu’arrivent les déterminations »

Pour cette cohérence qui n’a jamais tremblé et pour tous ses fruits. 

Juste merci.

Bariza Khiari

 

Hommage à Jean-Pierre Chevènement

Les Bernardins – 11 Octobre 2023