«“Réparatisme”: réparer le présent, préparer l’avenir»

CANEVA-IMAGE-SITE

TRIBUNE

« Il est essentiel de désacraliser la violence et d’en finir avec l’idéologie de combat prescrit par le divin » Ghaleb Bencheikh

Par L’OPINION le 04.06.2021

 

Nous sommes dans une ère d’addiction, de polarisation, d’indignations multiples, de radicalisation et de violence qui enfle. Le religieux est de retour, telle une « revanche de Dieu » qui n’aurait pas apprécié qu’on parlât de lui en termes de mort ou d’éclipse. Aussi, cette résurgence du divin « revanchard » est-elle coupée de son véhicule culturel et de ses humanités. C’est d’autant plus vrai pour l’islam dont la manifestation extrémiste ne fait aucun cas de l’humanisme d’expression arabe qui a prévalu dans sa civilisation impériale, ni de l’apport des Lumières et encore moins des exigences de la modernité. La complexité de cette équation est décuplée par les ressentiments dus, notamment, à une décolonisation non soldée qui, elle aussi, a trahi les idéaux des Lumières.

Ce passif vient nourrir le trouble ferment de particularismes dont se nourrissent les marchands de peur et promoteurs d’une guerre des différences. Ces deux mâchoires de la fameuse tenaille identitaire que sont l’islamisme radical et l’identitarisme exacerbé, se rapprochent et parachèvent de blesser une société déjà très éprouvée par le terrorisme abject.

S’agissant de « l’islamisme de France », une analyse plurifactorielle explique cette crispation accrocheuse autour d’un islam devenu synonyme de séparatisme, d’épouvante et de mort. L’analyse convoque à la fois le conjoncturel et le structurel, l’individuel et le pluriel, l’actuel et l’intemporel. Elle obéit à plusieurs grilles de lecture dont chacune possède sa pertinence propre mais aucune n’épuise totalement le sujet.

L’approche sociologique commande de s’intéresser à la composante islamique de la nation dont une bonne frange est prolétarisée, défavorisée, déscolarisée voire désislamisée. Il en résulte une réislamisation de néophytes nouveaux prosélytes telle une revendication politico-identitaire. L’épuisement de l’identité dans une dimension exclusivement religieuse amorce une rupture insidieuse qui fait le lit de séparatismes grandissants.

Failles identitaires. La lecture psychologique met à nu les failles identitaires, l’absence de repères, le manque d’autorité du père, l’impact de l’échec scolaire, les carences affectives et les fêlures morales. La conséquence en est une vulnérabilité et une porosité aux cloches d’une « identité supérieure, une citoyenneté supranationale ».

Pour la strate théologique, une refondation de la pensée religieuse islamique en crise relève d’une nécessité vitale. Elle seule permettra d’entreprendre les chantiers titanesques comme celui des libertés fondamentales, à commencer par la liberté de conscience, de l’égalité ontologique et juridique entre les êtres humains par-delà le genre ou les options métaphysiques. Il est essentiel de désacraliser la violence et d’en finir avec l’idéologie de combat prescrit par le divin.

Avant de prétendre à une culture démocratique, il faut laisser place à la culture – tout court, condition nécessaire mais pas suffisante. C’est la dernière approche de cette analyse panoptique. L’indigence intellectuelle, la déshérence culturelle ont permis l’emprise démente sur des psychés aliénées. Aussi, devons-nous agir pour parfaire une compréhension d’un écosystème complexe dont il faut séparer les éléments pour en saisir les influences, penser les antidotes et opérer au cœur du problème avec vision et précision.

«Qu’il s’agisse d’édition ou de contenus disponibles sur Internet, de véritables lanceurs d’alerte font cruellement défaut sur le sujet islam. L’idée est que ces vigies captent les signaux même faibles relatifs à des concepts malveillants ou dangereux»

L’analyse étant holistique, la réponse est plurielle. Elle se présente tel un moteur à quatre temps. Il y a la riposte sécuritaire et le travail de renseignement pour déjouer les attentats meurtriers. Elle doit être complétée par l’assèchement nécessaire du terreau de l’idéologie djihadiste. Le fameux discours alternatif face au « contre-projet social et politique » de la sphère islamiste qui doit être pensé et diffusé en fonction des diverses cibles.

Ce récit positif doit tarir les sources de la radicalisation notamment en traduisant les œuvres des penseurs musulmans réformistes. Sur un autre plan, une action de contrôle et de vigilance accrue relative à la littérature salafiste est à mener avec détermination. Qu’il s’agisse d’édition ou de contenus disponibles sur Internet, de véritables lanceurs d’alerte font cruellement défaut sur le sujet « islam ». L’idée est que ces vigies captent les signaux même faibles relatifs à des concepts malveillants ou dangereux et en mesurent le « bruit de fond » pour en apprécier la résonance. L’objectif : cartographier les idées islamistes ainsi que leur tectonique et ainsi leur faire barrage et les déconstruire.

Devoir d’éducation. Le troisième temps est celui des politiques éducatives et culturelles. Elles se font à travers l’instruction, l’acquisition du savoir et l’ouverture sur le monde et à l’altérité, avec une inclination pour les valeurs esthétiques. C’est aux familles musulmanes de s’acquitter de leur devoir d’éducation ; c’est à l’école de la République de préparer les citoyens en aiguisant leur esprit critique afin d’éveiller leur conscience et d’affûter leur sens des responsabilités. Sensibiliser aux humanités, à l’art, à la musique, à la poésie constitue une immunité contre les radicalismes et les discours obscurantistes.

Ainsi la jeunesse musulmane n’aura-t-elle plus à s’offusquer de la représentation des prophètes. Elle découvrira que la geste d’Abraham et la vie de Muhammad sont illustrées dans les magnifiques miniatures persanes et ottomanes. Tout comme cette jeunesse doit faire sienne l’histoire de France et concourir au génie du peuple français en l’enrichissant des trésors de la civilisation islamique avec son art de vivre, son raffinement et son hédonisme.

Le quatrième temps, c’est enfin la réponse de la communauté nationale. En prolongeant la légende de « l’allégorie de la République » peinte par Honoré Daumier, nous adjoignons le verbe « protéger » à « nourrir » et « instruire ». La mission attendue de la République est de protéger ses enfants, tous ses enfants. Tout faire pour les préserver d’aller chercher un sens à leur vie au bout de l’inhumain ; les protéger des discriminations qui minorent leur citoyenneté. Leur allégeance à la nation ne souffre aucune tergiversation. A la patrie reconnaissante et protectrice d’assurer dans un destin commun une sécurité morale, sociale et matérielle.

Oumma française. Notre ambition, à la Fondation de l’islam de France, est de parfaire cette protection et de la pérenniser par le bouclier de l’éducation et la vigueur de la culture. Forts de leur appartenance au récit national et de leur immunité républicaine, les enfants de la nation doivent s’atteler au « réparatisme ». Parce que l’ouvrage France nécessite réparation du présent et préparation de l’avenir, une véritable ingénierie de consolidation du lien social doit être initiée, encouragée et même portée à un apogée tel qu’émerge une « âme collective éveillée », une oumma française du bien commun et de l’humanisme retrouvé et assumé.

Pour relever ces défis et développer encore davantage un champ d’action déjà fertile comme en témoigne son rapport d’activité, la Fondation de l’Islam de France ambitionne de lancer une réflexion nationale sur le devenir de l’islam de France, sa gouvernance et son financement. Pour ce faire, la visibilité de la FIF doit être augmentée au moyen d’une communication grand public lisible, positive et engageante. Objectif : faire bénéficier le plus grand nombre des projets de la fondation et susciter le soutien de nouveaux mécènes et de jeunes entrepreneurs désireux de participer à l’essor d’une institution clé pour les musulmans et pour tous nos concitoyens. La cause est nationale et l’ambition suprême.