Université populaire itinérante : « Nous souhaitons faire un Livre blanc restituant toutes les propositions issues des débats »

Radio Orient 4

Ghaleb Bencheikh était l’invité de Rencontre, une émission présentée par François-Xavier de Calonne sur Radio Orient.
Il était interrogé sur les ambitions de l’Université populaire itinérante, les actions de la FIF, la perception de l’islam en France et l’organisation du culte musulman

Extraits : 

François-Xavier de Calonne, Radio Orient : Comment se déroulent les échanges avec les participants aux UPI ? Sur quels thèmes êtes-vous interpellé ? Que vous apporte ce débat ?

Ghaleb Bencheikh : Nous avons pensé à ce débat national sur l’islam car ce thème n’avait pas été abordé lors du Grand débat initié par le Président de la République. Dans le cadre des UPI, nous allons de ville en ville pour parler avec les citoyens. Nous n’en sommes qu’à deux éditions et les choses se passent très bien, le débat est serein entre citoyens français musulmans et non musulmans.

Les questions qui reviennent touchent aux liens entre l’islam et la République, la citoyenneté. Nous avons un contact direct sur le terrain et il est nécessaire car c’est aux citoyens français de s’approprier le débat sur cette question épineuse qu’est l’islam, question qui est soit mal posée soit génératrice de beaucoup d’incompréhensions, de fantasmes et de difficultés. Il faut qu’à l’issue de l’itinérance de notre université, le vocable islam cesse d’être synonyme de terreur, d’épouvante, de médiocrité ou d’archaïsme. Nous finirons par aplanir les difficultés : « islam » doit rimer avec humanisme, spiritualité, intelligence, beauté, compréhension et solidarité.

Un terme peut être générateur d’incompréhension ou d’interrogation : celui d’ « Islam de France ». Suscite-t-il des questions ?

Islam « de France », « en France » : la question est systématique ou presque car ce terme inquiète les musulmans qui pensent, à tort, que l’on a taillé un islam de France presque sur mesure, lequel serait frelaté et n’aurait rien à voir avec l’islam universel. Il faut expliquer ce terme : si l’on est à Jakarta, à Montréal ou à Paris, on ne vit pas l’islam de la même façon. Culturellement, l’islam a toujours été caractérisé par sa souplesse et sa simplicité.

Qu’allez-vous faire de tous ces débats ?

Je dis toujours en plaisantant que nous en ferons un Livre vert ! En réalité, nous souhaitons faire l’équivalent d’un Livre blanc : nous consignons toutes les remontées par écrit, de sorte que tous les citoyens qui se sont exprimés ne verront pas vaines leurs propositions. Je fais confiance à la pertinence et à l’intelligence de nos concitoyens.

Pouvez-vous nous donner un exemple des idées émises lors des deux premières éditions ? 

Dans le domaine de l’éducation, beaucoup de nos concitoyens insistent sur l’éveil de la conscience de nos écoliers et collégiens, pour qu’ils ne soient pas l’objet d’endoctrinements ou la proie facile de discours et balivernes débités soit par des ignares autoproclamés imams, soit par les réseaux sociaux. Les immuniser contre ces dérives est une revendication qui revient tout le temps.

L’UPI contribue-t-elle à désamorcer les tensions liées à la question islamique dans notre pays ?

Assurément oui. Nous ne venons pas dicter notre vérité : nous élaborons avec la base, la frange islamique de la Nation, mais aussi plus largement avec tous les citoyens, un projet de cohésion.

Pensez-vous que votre action relève d’une cause nationale ?

Oui, bien sûr. Nous œuvrons pour le bien commun, l’intérêt général. L’aplanissement des difficultés, des dérives et des problèmes de radicalisation relèvent d’une cause nationale.

Quels sont les moyens aujourd’hui de la Fondation ? 

Nous avons des moyens très indigents eu égard à la mission qui est la nôtre. Nous avons déjà engagé des projets – des bourses et allocations aux étudiants et imams notamment, ou notre campus numérique – qui doivent être menés à bien, et les moyens dont nous disposons ne nous permettent pas d’aller beaucoup plus loin que la fin de l’année 2021 sans pour autant lancer de nouveaux projets.

Vous octroyez des bourses pour la formation profane des cadres religieux musulmans et celle des étudiants en islamologie. Quelle est la démarche à suivre pour ceux qui seraient intéressés ?

Nous soutenons les bons étudiants de Master 2 et de doctorat qui souhaitent devenir des spécialistes de l’islamologie. Ils peuvent postuler, toutes nos informations sont en ligne.

Quant aux imams, j’aime à rappeler qu’ils sont, comme tous les êtres humains, bipèdes et que leur formation repose donc sur deux jambes : une formation cultuelle et une culturelle. Nous donnons des bourses sur ce second volet afin que nos imams connaissent l’histoire de la France, celle des institutions républicaines, de la laïcité. Les candidats doivent nous saisir dès lors qu’ils sont inscrits à un diplôme universitaire de formation civile et civique ; nous donnons aujourd’hui plus de 100 bourses de formation.

Comment évolue la perception de l’islam en France ?

C’est très contrasté. Il y a parmi nos concitoyens notamment non musulmans une banalisation de la présence à leurs côtés de leurs compatriotes musulmans. En même temps, il y a une défiance à l’encontre du fait religieux islamique, de l’islam tel qu’il est perçu avec toutes les idées de violence, de radicalisme, de fanatisme, d’infériorisation de la femme.

Je ne suis pas homme à pleurnicher, mais l’islam pâtit d’une présentation médiatique focalisant sur le vil, le pervers, sans aucune contrepartie. N’est jamais évoqué par exemple l’humanisme en contextes islamiques qui a contribué au savoir universel.

Quel regard portez-vous sur l’organisation du culte musulman en France ?

Un regard sévère. Depuis plus de 30 ans, l’incurie organique prévaut. Malheureusement, des individus sans compétences, ni théologiques ni intellectuelles et encore moins islamologiques, sévissent dans ces instances avec des basses manœuvres. Le CFCM connaît des déboires : le premier scénario est de constater son échec et de revoir la manière qui a présidé à son instauration, laquelle s’est faite en 2002-2003 sans aucune élection ni légitimité. Le second scénario est de dire que ceux qui occupent la gouvernance de l’instance sont là depuis 20 ans. Il est peut-être temps de changer de représentants.

 

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Emission diffusée le jeudi 13 juin 2019