Musulmans de France : retrouver la confiance

RCF

Ghaleb Bencheikh était l’invité de l’émission Le Temps de le dire sur RCF. Il répondait aux questions d’Antoine Bellier, le 14 janvier 2020.

En raison de revendications identitaires qui reviennent régulièrement autour du port du voile dans l’espace public, du relais de discours radicalisés qui se répandent notamment dans des quartiers défavorisés de nos banlieues, sans parler des attentats terroristes qui instrumentalisent la religion musulmane, l’islam et ceux qui s’en réclament sont en quelque sorte sommés de s’expliquer. Pour en discuter, RCF recevait Ghaleb Bencheikh aux côtés de Romain Icard, journaliste, réalisateur du documentaire « Nous, Français musulmans », et Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII).

 

Musulman français ou Français musulman ?

Le documentaire de Romain Icard débute ainsi : « Islam, musulman, islamiste… Depuis quelques années ces mots occupent les débats et laissent à penser que les Français musulmans seraient tiraillés entre une identité religieuse et leur adhésion aux valeurs de la République, entre l’islam et la France.» Ghaleb Bencheikh le rappelle dès les premières minutes de l’émission, la sémantique ne devrait pas prêter à discussion : « Nous sommes d’abord citoyens dans un état laïque, sous la voûte commune de la laïcité, et on se détermine selon sa tradition, ou pas. Français d’abord, et musulmans. D’abord la citoyenneté, et puis la coloration confessionnelle. »

Tout au long de son documentaire, le journaliste Romain Icard donne la parole à des Français musulmans (qui représentent aujourd’hui 7,5 % de la population française) mais aussi aux non musulmans, notamment grâce à l’aide de l’institut de sondage IPSOS. Pour le documentariste, il s’agit avant toute chose de dépassionner un débat « qui crispe, voire qui tourne à l’hystérie ». Ghaleb Bencheikh salue la démarche : « C’est la première fois à ma connaissance qu’on a du temps et une œuvre utile qui ne ramène pas la question islamique, en dépit des problèmes épineux qu’il faut aplanir, uniquement à des questions d’épouvante, de fondamentalisme, de terreur et de caractère maladif inhérent à la question religieuse. Ce documentaire pourra éclairer nos concitoyens. »

« Le processus démocratique permettra l’alternance »

Dans de nombreux pays musulmans, la règle religieuse est transcrite dans le code civil, et la frontière poreuse entre religieux et politique au sein de l’islam est au cœur du débat en France. A ce sujet, Ghaleb Bencheikh est catégorique : « L’origine de l’islam politique remonte aux années 1928 pour les temps contemporains, à l’abolition du califat. Certains s’en sont réjouis et d’autres ont perçu ça comme un traumatisme. Ils se sont dit « tiens, l’Etat moderne a besoin d’une Constitution, on trouve la Constitution dans le Coran ». Mais c’est une arnaque intellectuelle, et malheureusement cette idée de politiser, d’idéologiser ou d’étatiser la tradition religieuse nous cause beaucoup de méfaits. (…) En France, chez certains, il y a cette idée que la loi de Dieu prévaut sur celle de la République et nous sommes là pour leur dire non, puisque la norme juridique doit être une émanation rationnelle des hommes qui s’applique aux hommes pour le bien être des hommes. (…) Le processus démocratique permettra l’alternance. »

La laïcité impuissante face à l’islam politique ?

Interpellé par une auditrice qui fait remarquer que le terrorisme se réclame de l’islam et non d’autres religions, et que la vie de Mahomet est truffée d’épisodes qu’elle qualifie « d’indéfendables », Ghaleb Bencheikh aborde l’épineuse question des textes : « Il est vrai que des terroristes, des sanguinaires, des criminels se réclament de cette tradition religieuse, d’une compréhension, erronée de notre point de vue, mais qui existe, des textes de juristes d’il y a mille ans et au-delà, et d’une interprétation prise au pied de la lettre, violente, de passages du Coran. C’est un énorme travail qu’il faut faire sur le plan théologique, philosophique, de l’interprétation, de la philologie, de la linguistique pour régler ce problème, qui est majeur. »

En réponse à cela, nombreux sont ceux qui soulèvent les enjeux d’une « laïcisation de l’islam ». Le Président de la FIF, lui, préfère parler de sécularisation des sociétés musulmanes. S’il reconnaît que la réponse immédiate au salafisme violent se trouve dans les forces de l’ordre et la justice, il préconise en revanche une réponse à moyen et long terme par « l’éducation, l’instruction, l’acquisition du savoir, la culture, la connaissance, l’ouverture sur le monde, cette théologie de l’altérité notamment confessionnelle, et j’ajoute l’inclination pour les valeurs esthétiques, les belles lettres, les beaux-arts, la musique, la poésie. C’est ce qui fait l’honnête homme : flatter les sens, élever spirituellement, polir le cœur et assainir l’âme de cette animosité infâme ».

La question émerge naturellement pendant l’émission : la laïcité est-elle impuissante pour traiter les difficultés liées à l’islam ? Pour le théologien, la solution se trouve dans l’émergence d’une islamologie savante : « La sécularisation a besoin d’une armature intellectuelle, d’un investissement de pensée pour que la tradition religieuse islamique aussi, de son côté, avec ses propres intellectuels, ses propres théologiens, philosophes, arrime la pensée théologique au contexte laïque. »

Un enjeu de civilisation

En ce qui concerne les aspects proprement politiques, Ghaleb Bencheikh remarque un paradoxe qu’il faut savoir rompre selon lui : « Nous ne pouvons pas dire à l’Etat français de ne pas se mêler des affaires cultuelles quelles qu’elles soient, en vertu de la loi de 1905, tout en nous accommodant de l’ingérence directe d’Etats tiers dont la démocratie n’est que formelle au mieux. (…) Je ne suis pas pour que le Concordat perdure, mais dès lors qu’il existe, il faut qu’il profite notamment à régler la question de l’islam dans notre pays. Pour cela il faut du courage politique voire une révision constitutionnelle ». Le Président de la FIF évoque un enjeu de civilisation : « Il faut du courage politique et un travail intellectuel et de refondation de la pensée. Nous pouvons le faire dans notre pays, et d’abord à distinguer les registres : il ne faut pas que les questions identitaires épuisent les questions religieuses (…) et ne pas ethniciser en confessionnalisant ».